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Les travailleurs de Bravvo arrachent le respect

Les travailleurs de Bravvo arrachent le respect

Le 20 mai Hamid, Michel et Brahim sont licenciés 1. Ils reçoivent un courrier du huissier et sont priés de ne plus revenir travailler. La brutalité des licenciements choque tous les travailleurs de Bravvo (asbl de prévention de la Ville de Bruxelles). Comme un kleenex, la direction se débarrasse d'eux, sans préavis, sans avertissement. Cette manière de faire passe mal, certainement en cette période. Les travailleurs sortent à peine la tête de l'eau. 118 agents ont été mis en chômage technique, tandis que d'autres ont dû adapter leur métier au coronavirus et faire face au risque de contamination. De nombreuses critiques sur le style de la direction ne sont toujours pas entendues. Le ras-le bol des travailleurs est général. Ils décident en front commun de se mobiliser et de dénoncer des problèmes profonds qui durent depuis bien trop longtemps.

Quand l'annonce du confinement tombe, les travailleurs de la prévention ont dû quelque peu réinventer leur métier. Pour les gardiens de la paix dont la tâche est déjà très difficile en temps normal, leur mission se complique. Ils circulent dans les quartiers, relaient les sans-abris vers des centres d'aide, contrôlent les communs d’immeubles… mais avec très peu de moyens, de consignes claires et de communication. Les masques en tissus distribués aux travailleurs sont de mauvaises qualité et très inconfortables. Certains agents se déplacent toute la journée avec des chaussures de travail trouées. Les briefings et débriefings se font les uns à côté des autres, dans une salle trop étroite pour garantir la distanciation sociale. Avec la fermeture des écoles, leurs horaires de travail sont modifiés, sans concertation avec les travailleurs et leurs représentants syndicaux. Si ça fait le bonheur des uns, d'autres doivent complètement réorganiser leur vie privée du jour au lendemain.

Pour les 118 agents qui travaillent comme éducateurs, médiateurs ou encore animateurs, c’est le chômage technique pur et simple. Pour le PTB, considérer que ces travailleurs ne sont pas essentiels à la société en période de crise, n'a aucun sens. Cette décision est en contradiction avec l'expérience des pays qui ont combattu le plus efficacement le virus, où le travail de proximité et de prévention a été l'un des piliers de leur stratégie. Riet Dhont, conseillère communale du PTB, a interpellé l’Echevine en charge, Faouzia Hariche (PS) : « Dans les 5 Blocs, les enfants sont enfermés toute la journée dans des appartements beaucoup trop petits. Les parents ne savent plus comment les occuper. [...] Des personnes âgées sont isolées dans leur logement. Et on met au chômage des travailleurs qui pourraient leur venir en aide [en assurant les mesures de sécurité]. Les jeunes d'Anneessens nous montrent l'exemple. Bénévolement ils ont collecté, préparé et distribué plus de 4000 colis. C'est magnifique ! Qu'est-ce qu'on attend pour mobiliser nos équipes et les jeunes des quartiers pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin ? C'est aussi comme ça qu'on luttera contre le virus. »

La crise du coronavirus a amplifié de nombreux problèmes dénoncés depuis longtemps par les travailleurs. Cette fois, la coupe est pleine. Le 29 mai 2020, les syndicats déposent un préavis d'actions et de grève pour toute la durée du mois de juin. Des assemblées virtuelles sont organisées les mardis pour discuter ensemble des revendications et de la suite du mouvement. Les premières actions se mettent en place les jeudis et rassemblent à chaque fois plus de 100 travailleurs, tous métiers confondus. Ils revendiquent des changements de la part de la direction. Elle doit prendre en compte les résultats de l'analyse des risques psychosociaux qui pointe un véritable mal-être parmi le personnel. Ils demandent de définir de manière plus précise leur mission, d'avoir une ligne hiérarchique claire, de revoir leur charge de travail et de revenir à leurs horaires initiaux. Ils revendiquent une procédure claire contre l'arbitraire qui règne actuellement dans l'octroie des congés. Ils demandent des chaussures de travail neuves et de qualité. Ils demandent aussi la reprise de la concertation sociale particulièrement pour revoir le règlement de travail.

Le mouvement des travailleurs est accueilli avec mépris par l'Échevine en charge, qui interdit les deux premiers rassemblements devant l’endroit symbolique de l'Hôtel de Ville de Bruxelles. Elle n’hésite pas à envoyer un email à tous les travailleurs, le matin-même, pour décrédibiliser l'appel à se mobiliser. «  Mauvais logo des syndicats », « rassemblement non autorisé », « vous serez considérés comme grévistes »… Mais malgré ces intimidations, les agents sont présents en nombre devant la bourse.

Les membres du personnel nous partagent des témoignages alarmants

Fin mai, les travailleurs de Bravvo lancent une pétition adressée au Bourgmestre et Echevins de la Ville de Bruxelles et est signée par presque 500 personnes (au moment d'écrire ces lignes) 2. Ils dénoncent les méthodes toxiques de la direction qui les maltraitent, les méprisent et les dévalorisent. Ils veulent « Plus de justice sociale, Stop au Licenciement Abusif, Stop à la Délation, Stop à la Maltraitance du personnel, Stop aux Intimidations, Menaces, Vengeances, Stop au Management Toxique par la terreur de la Direction, Stop au Harcèlement quotidien, Stop à la non logique d'action, Stop à la non Concertation, Stop à l'infantilisation, Stop à l'abus de pouvoir,... »

Les témoignages se multiplient. Abdel (nom d'emprunt), gardien de la paix: « On prend des risques sur le terrain. On nous envoie dans des zones où même les flics ne passent plus. Mais avec quel moyen ? On n'a même pas droit à une prime de pénibilité. Ça m'est arrivé d'avoir peur d'être suivi en rentrant chez moi. » Antoine (nom d'emprunt) éducateur : « Je suis éducateur dans un quartier populaire de Bruxelles. Avant, nous étions deux pour couvrir un périmètre de 20.000 habitants, maintenant je suis seul. On est sensé lutter contre l'exclusion mais on ne sait pas assumer notre mission. On travaille avec un public fragilisé en rupture avec le système. Comment les aider dans ces conditions ? » Sam (nom d'emprunt), éducateur : « Les travailleurs de terrain ne sont jamais consultés. Un jour on m'annonce que je suis muté dans un autre centre et c'est comme ça, pas de discussion. C'était la même chose pendant le confinement. Du jour au lendemain on nous dit de ne pas venir travailler. Aucune discussion sur comment garder le lien avec les jeunes. Et puis au moment du déconfinement, du jour au lendemain : « vous retournez travailler ». Même pas le temps de s'organiser, ni de réfléchir au plan de déconfinement dans notre métier. » Mohamed (nom d'emprunt), gardien de la paix : « La directrice crée un climat malsain pour nous diviser. Elle incite à la délation, distribue les congés sur une base arbitraire. Je ne sais toujours pas si je pourrai partir en congé cet été. »

Grâce à la mobilisation, les premières victoires

Le mouvement inédit initié par les travailleurs de Bravvo, fait progressivement pencher le rapport de force. Les syndicats qui reprochent à la direction de contourner systématiquement la concertation sociale, sont enfin reçus par les autorités de la Ville pour entamer des discussions. Faouzia Hariche et le Bourgmestre Philippe Close, sont aussi forcés de s'expliquer au Conseil communal et de répondre aux questions du PTB. Les premières mesures en faveur des travailleurs sont prises : un accord avec un grand magasin pour de nouvelles chaussures de travail, une réorganisation des horaires de travail, un plan de déconfinement, une prime de nettoyage pour les vêtements de travail de 350 euros. La ténacité du mouvement et l'unité des travailleurs impliqués chaque semaine en assemblée générale, auront permis de remporter d'autres victoires. Les dysfonctionnements sont enfin reconnus. La direction s'engage a finalisé les congés le plus rapidement possible. Elle s'engage également à chercher des solutions pour remplacer les absents à certains postes et à négocier le règlement de travail. La Ville de Bruxelles a mobilisé dans un premier temps, une équipe de quatre personnes pour bien identifier les problèmes soulevés au sein de Bravvo et y apporter des réponses concrètes. Ensuite une personne extérieure sera engagée pour continuer ce processus.  

Le PTB est aussi intervenu sur la question du budget de l'asbl. En 2018, Bravvo a remboursé 2,2 millions à la Ville et 1,7 millions en 2019. Comment expliquer qu'un tel montant soit rendu chaque année à la Ville alors que les besoins pour améliorer la prévention et les conditions de travail des 300 membres du personnel sont énormes ? La conseillère communale Riet Dhont, s'est appuyée sur les requêtes des travailleurs : « Les besoins sont nombreux. Il faut une prime de risque pour les travailleurs qui sont en première ligne. Des outils de travail performants. Un équipement de protection. Du personnel pour remplacer les malades de longue durée. Des équipes de nuit renforcées. Un local adapté au bien-être des travailleurs. Une formation agréée au secourisme et self défense. Une revalorisation des salaires. Des uniformes de qualité. Des alternatives pour le personnel en fin de carrière. Un complément de pension. Des bikes ou vélo pour se déplacer rapidement en ville. » Pour le Bourgmestre, si cette somme restituée à la Ville est « tout à fait normale », pour le PTB elle montre surtout à quel point la prévention n'est pas une priorité pour la majorité communale. Dans une ville capitale de l'Europe, de 180 000 habitants, confrontée à autant d'enjeux, investir dans les métiers de la prévention est déterminant pour le vivre-ensemble et pour lutter contre l'exclusion sociale. Il reste encore des engagements à concrétiser. Mais les travailleurs de Bravvo ont gagné des premières victoires importantes pour leurs propres conditions de travail, mais aussi pour les habitants des quartiers de Bruxelles. Le PTB continuera à soutenir les revendications légitimes des travailleurs pour leurs droits et se battre pour une réelle vision du travail de prévention à Bruxelles. La lutte ne fait que commencer.

 

Bravvo (Bruxelles Avance - Brussel Vooruit) est l'asbl de prévention de la Ville de Bruxelles. L'asbl est présidée par le Conseil d'Administration avec à sa tête le Bourgmestre Philippe Close (PS). Il est composé de la majorité communale (PS-Ecolo-Défi), d'un élu de l'opposition, David Weystman (MR), de la Présidente du CPAS et de la directrice Veerle Berx. L'asbl engage près de 300 travailleurs qui tous assument des missions du service publique. Financé par les contribuables, pour assumer un service d'utilité publique, Bravvo a pourtant été privatisé en 2004, sous la majorité socialiste. La politique de « l'entre-soi » où la majorité communale est à la fois juge et partie, pose question au niveau démocratique. Déjà à l’époque du scandale du Samusocial, le PTB revendique un contrôle démocratique et citoyen sur les asbl.  Aucun représentant des travailleurs, ni des comités de quartier ou des commerçants, n'est présent au CA. La politique de prévention en serait pourtant enrichie. Pour le PTB il est grand temps d'ouvrir le CA aux acteurs de terrain pour plus de transparence et de démocratie, et pour une vision de la prévention qui parte réellement des besoins des habitants et différents acteurs de nos quartiers.

1 Les travailleurs licenciés ont invoqué un vice de procédure : https://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_licencies-trois-travailleurs-de-l-asbl-bravvo-invoquent-un-vice-de-procedure?id=10526808

2 https://www.change.org/p/bourgmestre-echevin-e-s-de-la-ville-de-bruxelles-arr%C3%AAtons-la-maltraitance-des-travailleuses-travailleurs-%C3%A0-asbl-bravvo?recruiter=1062342943&recruited_by_id=e6034310-6df5-11ea-9260-87709c158658