Il y a tout juste un an, le centre commercial Docks Bruxsel situé le long du canal au nord de la ville, ouvrait ses portes. S'il a accueilli 200 000 visiteurs les premiers jours d'ouverture, l’engouement est vite retombé. Aujourd'hui, c’est le calme qui règne dans les allées et de plus en plus de surfaces commerciales sont désertées et transformées en vitrines publicitaires. Où est le succès tant attendu ?
Notre ville vendue aux barons de l'immobilier
Dès le début du projet, Docks a attiré de nombreuses critiques, venues de toutes parts. Associations, comités citoyens, scientifiques, syndicats, représentants des indépendants ont tous alerté les pouvoirs publics. L'impact sur l'emploi, l'environnement, la mobilité, le patrimoine, le manque de démocratie... Tous ces éléments ont été sérieusement mis en cause dans ce projet. Et pourtant, rien n'y a fait ! Les pouvoirs publics ont persévéré, malgré les avis négatifs répétés du Conseil d’État : Bruxelles accueillera bien un nouveau centre commercial en périphérie.
Comment expliquer que malgré la résistance, les problèmes d'accessibilité du site, la concurrence avec le centre-ville commercial et les projets U-Place et Néo à quelques kilomètres de là, une société comme Equilis ait décidé d'investir autant d'argent dans ce projet ? Un professeur de management, nous donne un élément de réponse : « En cette période où les taux d'intérêts sont très bas, un centre commercial est un produit financier avant d'être une offre commerciale. » Autrement dit, peu importe si le centre commercial fonctionne, l'investissement à lui-seul génère de l'argent. Et très rapidement ! A peine quatre mois après l'ouverture de Docks, Equilis a remis en vente pour plus de 300 millions d’euros le centre commercial dans lequel elle en avait investi ‘à peine’ 210 millions d'euros.
On comprend donc vite que lorsque la vision politique de la Région et de la Ville de Bruxelles, s'accorde avec les intérêts d'une société immobilière comme Equilis, l’opposition a du mal à faire entendre sa voix. Et les risques pour nos emplois et notre environnement ne pèsent pas lourd dans la balance. Transformer Bruxelles en pôle d'attraction européen, voire international et en faire la destination privilégiée d'un tourisme économique et culturel de luxe, voilà la vision politique de citymarketing défendue par nos autorités. Leur priorité est de soutenir le commerce de proximité, d’impliquer les habitants dans les prises de décisions, de créer des emplois stables ou de limiter les émissions de carbones ? Pas du tout. Les autorités de la Ville choisissent une toute autre voie : servir notre ville sur un plateau d'argent aux gros barons de l'immobilier, au détriment des gens et de l’environnement.
Nos emplois sous pression
La création de nombreux emplois a été l’un des principaux arguments avancés par la Ville et les investisseurs pour encourager le lancement du projet. Ils avaient promis 1200 emplois. Ils n’en ont créé que la moitié. Et pour une Région dans laquelle 1 jeune sur 3 est sans emploi, la différence est de taille. Et c’est sans parler de la qualité des emplois créés ou des situations de précarité induites par ces types d'emplois. Des témoignages récoltés auprès des employés révèlent que depuis l'ouverture du centre, une partie des employés a déjà été remerciée. Les contrats précaires de courtes durées entraînent un grand turn-over – pratique très répandue dans le secteur de la distribution. Pas question de sentiment dans les grandes chaînes de magasins qui occupent majoritairement le centre commercial. Le chiffre d'affaire ne suit pas ? On réduit le personnel pour limiter les coûts.
Dans cette logique du profit, ce sont toujours les travailleurs qui paient les pots cassés et subissent une pression encore plus forte si le succès n'est pas au rendez-vous. Des témoignages comme celui de Monique (nom d'emprunt), employée dans un magasin de Docks Bruxsel, sont révélateurs : « On a commencé à nous mettre la pression parce que le chiffre d'affaire du magasin n'était pas bon. Les collègues sont tombés comme des petits pains, sans être remplacés. On nous pousse à faire des heures supplémentaires, à être hyper polyvalents pour combler le manque de personnel. On se pose tous des questions pour l'avenir...C'est beaucoup de stress aussi pour sa vie de famille. »
On retrouve cette inquiétude chez les commerçants bruxellois. Même si l'Echevine du commerce Marion Lemesre (MR) ne semble pas beaucoup s'en préoccuper, plusieurs experts remettent en question la stratégie de la Ville, particulièrement au vu de l'offre commerciale existante et des projets en cours. La Directrice de l'Association du Management de Centre-ville (ACMV), un bureau d'études qui conseille le public et le privé, est très claire : « Quand on crée une nouvelle offre commerciale, on n'ajoute pas, en même temps, de l'argent dans le portefeuille des gens. » En d’autres termes, si les consommateurs vont faire leurs achats à un endroit, c'est nécessairement qu’ils ne vont plus les faire ailleurs. Si ce phénomène est encore relativement limité avec Docks,il va être beaucoup plus important dans les prochaines années avec la réalisation des deux projets imposants que sont U-Place à Machelen et Néo sur le plateau du Heyzel.
Du marketing sur le dos du climat
La Ville de Bruxelles s'est engagée à réduire d'ici 2040 ses émissions de gaz à effet de serre de 40% par rapport à 1990. A priori, quand les promoteurs privés s'emparent aussi de ces enjeux, on ne peut que s'en réjouir. Chauffage raccordé à l'incinérateur de Bruxelles-Propreté, panneaux photovoltaïques, plafond en verre...tous ces efforts ont permis au projet Docks d'obtenir un label environnemental. Aujourd’hui, on sait que la qualité de ces labels et leurs effets positifs sur l'environnement sont fortement contestés. Cependant, ils contribuent à augmenter la valeur des biens construits. Écologique, Docks ? Pas sûr. Par contre, Equilis, promoteur du centre commercial certifié durable a l’opportunité de réclamer un prix de vente revu à la hausse.
Avec ses 1700 places de parking et un accès limité en termes de transports publics, Docks souhaite avant tout attirer les consommateurs qui vivent en périphérie de Bruxelles, « une zone d'environ 2 millions d'habitants » selon Olivier Weerts, concepteur du projet. Voici les faits : Bruxelles est une des villes les plus embouteillées d'Europe. Les pics de pollution y sont fréquents. La concentration de particules nocives pour notre santé en Région bruxelloise dépasse régulièrement les normes autorisées. Les particules fines sont responsables de nombreux décès - 12 000 décès prématurés par an en Belgique selon l’Agence Européenne de l’Environnement. Malgré tout cela, Equilis a obtenu les permis nécessaires à la construction du shopping, situé dans une zone particulièrement sensible aux abords du ring.
Pourtant, l'urgence climatique et les engagements de la Ville et de la Belgique pour réduire les émissions polluantes, sont bien réels. Qu’arrivera-t-il avec l'afflux de visiteurs de Néo et Up-Place, qui ont deux fois plus d'ambition que Docks en termes de fréquentation ? L’impact sur la mobilité, la sécurité, l’environnement et la santé sera énorme, cela ne fait aucun doute. Et ceux qui vont payer le prix fort ne seront ni les pouvoirs publics qui encouragent ces projets, ni les barons de l'immobilier qui encaissent. Ce sera, une fois encore, la population.
Et les préoccupations des gens ?
Bruxelles « plus attractive » : oui ! Mais pour qui ? Quand nos pouvoirs publics choisissent de vendre notre ville pour satisfaire les intérêts des plus riches, c'est au détriment de la population. Se soucient-ils des priorités des gens ? 400 000 voitures roulent chaque jour à Bruxelles, notre air est saturé ! La pauvreté gagne du terrain. Même les salariés qui vivent d'emplois précaires ne sont pas épargnés. Ce n'est pas d'un nouveau projet de centre commercial dont nous avons besoin, mais de toute autre chose.
Il est grand temps que les préoccupations des gens soient réellement mises au centre des décisions politiques. Plusieurs exemples, nous montrent que c'est possible que de nombreuses voix réunies valent plus que celles de géants de l'immobilier. A Anderlecht, des parents se sont mobilisés pour réclamer l'ouverture d'une crèche qui est restée vide pendant 2 ans, et ils ont réussi. A Forest, les habitants se sont mobilisés pour que des logements sociaux vides depuis 10 ans soient rénovés, et ils ont gagné. Et vous, que voulez-vous changer ?
Le PTB se lance dans une grande consultation populaire auprès de 1000 Bruxellois. Aidez-nous dans cette campagne en commençant simplement par nous donner votre avis sur http://bruxelles.ptb.be/enqueteintro
Claudia Chin
PTB Ville de Bruxelles
© Sabrina Delvaux