Dirk De Block, le président du PTB-Bruxelles, condamne fermement le vandalisme et les pillages qui ont émaillé le centre de Bruxelles cette dernière semaine. « Cette violence est inacceptable. Il s’agit de voitures et de magasins de gens ordinaires, de travailleurs, qui ont été cassés. Nous devons disposer d'une police qui protège nos droits et nos personnes, qui puisse neutraliserr les casseurs pour que les Bruxellois puissent se réunir. Et traiter la situation à Bruxelles comme un "cancer" et annoncer une répression "tous azimuts" comme l'annonce Jan Jambon (N-VA), n'apportera aucune solution. Il faut investir dans des projets sociaux, dans l’enseignement, et donner des perspectives pour ramener le calme à Bruxelles et offrir un avenir à tous. »
Quelle était votre première réaction ?
Dirk de Block. Ma première réaction était assez émotionelle : j'en avais marre. Des voitures de gens ordinaires incendiées, ainsi que des magasins de petits indépendants qui, chaque jour, se lèvent tôt pour y travailler, mais aussi la bibliothèque, un bien public... et des gens qui voulaient s'interposer se faisaient tabasser. C'est inacceptable.
Que s’est-il passé ce mercredi 15 novembre ?
Dirk de Block. La star française de Snapchat Vargass92, avec son million de followers, avait donné rendez-vous à ses fans le mercredi après-midi sur la place de la Monnaie à Bruxelles. Des centaines d'ados, de toutes les couches de la société, ont répondu à l'appel. En France, ce type de rassemblement, où accourent des centaines de jeunes, est fréquent.
Pourquoi la situation a-t-elle dégénéré ?
Dirk de Block. Les autorités n'avaient pas prévu un si grand attroupement, et ils ont choisi d'éjecter Vargass92 du podium. Il s'en est suivi des bousculades et des sprays aux poivre ont été utilisés. Des dizaines de jeunes ont alors chargé la police et certains en ont profité pour provoquer des dégâts aux alentours. D'autres ont essayé de calmer les esprits, en vain.
La grande majorité parmi les centaines de jeunes présents se sont tenus à l'écart et regrettaient l'attitude de ces casseurs
La grande majorité parmi les centaines de jeunes présents se sont tenus à l'écart et regrettaient l'attitude de ces casseurs. Certains ont réagi : « S'en prendre à des passants ? Il n'y a aucune excuse valable.Tu peux râler parce que la police interrompt la rencontre, mais c'est pas une raison… J'aurais personnellement préféré que le rassemblement se poursuive, mais quel rapport avec les gens qui se trouvent dans le voisinage ? Ils n’ont rien à voir, quand même ? » Je connais aussi des parents qui se sont inquiétés pour leurs enfants et écoutaient les nouvelles avec angoisse.
Quelles ont été les réactions ?
Dirk de Block. Les réaction sont unanimes, sans distinction d'âge ou d'origine : ce type de violence n'est pas tolérable. Nombreux sont ceux qui craignent les suites que cela va provoquer. Les gens du quartier ne veulent pas porter le chapeau pour les méfaits d'une minorité. Cela risque aussi de générer des réactions racistes.
C'est en effet ce qui est à craindre. Certains faiseurs d’opnion et hommes politiques se sont laissés aller. Samy Mahdi (CD&V) a condamné les faits, qu'il reproche uniquement à des personnes d'origine marocaine. Le ministre bruxellois Pascal Smet parle lui de jeunes d'origine marocaine qui ont perturbé la fête après le match (du samedi 11 novembre, lorsque la fête pour la victoire du Maroc face à la Côte d’Ivoire a dégénéré à la Bourse de Bruxelles, NdlR)… Comme si le pays d'origine était déterminant pour expliquer un tel comportement.
Pourtant il s'agit souvent des jeunes de la quatrième génération, nés ici, tout comme leurs parents, qui ont grandi dans notre société. Ces jeunes sont de notre responsabilité, pas de celle du Maroc.
Il faut recréer du lien dans la ville. Et les autorités doit garantir ce droit au rassemblement
Par ailleurs, beaucoup de gens qui vivent dans les quartiers périphériques et en dans le reste du pays ont peur de venir à Bruxelles. Cela crée une atmosphère négative et porte préjudice aux commerçants locaux. On ne peut abandonner Bruxelles aux agissements de ces fous furieux. Il faut prendre des mesures.
Le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) a demandé une interdiction des rassemblements publices.
Dirk de Block. La droite et la N-VA profitent naturellement de ces événements pour mettre en avant leur agenda répressif. Mais que peut-on obtenir avec une interdiction totale des rassemblements ? On punit alors tout le monde pour les agissements d'une minorité. Des manifestations de masse sont nécessaires, les gens doivent pouvoir se rassembler et faire la fête, participer à des événements culturels, célébrer des victoires sportive… tous ensemble.
Il faut recréer du lien dans la ville. Et les autorités doit garantir ce droit au rassemblement. Ce doit-être le mot d'ordre à l'usage de nos forces de l'ordre. Neutraliser les casseurs pour que les Bruxellois puissent se réunir.
Nous devons disposer d'une police qui protège nos droits et nos personnes. Une police qui respecte la population, même dans des circonstances difficiles. Le respect peut alors être réciproque. Nous avons besoin de respect, pas de peur.
Que doivent faire les autorités ?
Dirk de Block. Beaucoup de monde réclame une police de proximité, en contact avec les gens, qui les connaît, qui est heureuse lorsque les gens font la fête, et qui les protège. Tout le quartier du boulevard Lemonnier et de la place Anneessens regorge de cafés de supporters de foot. Il s'agit d'une vraie passion. Une police mieux intégrée aurait permis une meilleure estimation de l'affluence et des risques. Si cela a échappé, c'est parce qu’il n’y a pas une assez grande connaissance de la ville.
Il est de plus en plus évident que les forces de l'ordre n'avaient pas anticipé l'ampleur de l'événement de samedi sur la place de la Bourse. Des policiers, sous couvert d'anonymat, ont déclaré n'avoir jamais été confrontés à pareille situation : on leur a ordonné de faire évacuer les lieux alors que l'ambiance ne le justifiait pas.
C’était la même chose mercredi : la police a sous-estimé l’affluence d'un événement social comme Vargass92. Mal préparés et en panique, ils ont décidé de tout stopper.
Les animations festives sont ainsi supprimées pour les supporters, les parents, les ados... cela laisse un arrière-goût amer, et ce sont les casseurs qui atteignent leur but.
Obliger les casseurs à participer à des travaux de nettoyage et de remise en état de dégradations similaires sont des mesures réparatrices qui n’ont rien de « laxiste », et qui fonctionnent
Pourtant ce genre de manifestations est avant tout un moyen de réunion, de communion entre les gens. Elles doivent pouvoir se poursuivre, mais avec une préparation ad-hoc, en bonne entente avec les autorités. C'est la seule manière d'assurer leur bon déroulement et garantir un bon niveau de sécurité.
Comment éviter l'intrusion des casseurs ?
Dirk de Block. Je vois deux manières d'agir. La première : les stewards. Lors des matches de foot et des événements de grande foule, ils informent, guident, calment et parlent aux gens. La police reste à l'arrière-plan, avec la priorité à la fête.
Une deuxième piste, lorsque les stewards ne suffisent plus, est de faire intervenir des « spotters », des agents de police qui connaissent les meneurs et leurs agissements. Lorsque ceux-ci deviennent agressifs, ils peuvent être exfiltrés au moyen d'un petit groupe de policiers.
Si ces mesures s'avèrent insuffisantes, on peut procéder à l'évacuation des lieux. Mais, alors, on sanctionne tout le monde, sans discernement, et la fête est finie. Dans les deux événements récents à Bruxelles, la police a directement procédé à une évacuation massive, sans autre mesure préliminaire.
Comment réagir en cas de violences de rues ?
Dirk de Block. Le vandalisme et le comportement délinquant doivent être sanctionnés. Et de préférence rapidement, et pas trois ans plus tard. En reportant trop longtemps le jugement, le rapport entre les faits et la sanction disparaît. Certains jeunes ne réalisent pas la gravité de leurs actes, et, dans ce cas, une sanction immédiate peut être bénéfique.
Il faut aussi viser des sanctions intelligentes. La « tolérance zéro » que beaucoup réclament n'a jamais prouvé son efficacité, cela ne marche pas. Par contre, des sanctions incluant une participation « réparatoire » peuvent donner de bons résultats : obliger à des travaux de nettoyage et de remise en état de dégradations similaires, par exemple. Ce genre de mesures n’ont rien de « laxiste », et cela fonctionne. Les obliger aussi à assister les équipes de secouristes. Ils sont ainsi confrontés aux conséquences de leurs actes. Cette façon d'agir implique tout à la fois les victimes, la société et les agresseurs.
Comment en est-on arrivé là à Bruxelles ?
Dirk de Block. Les ados éprouvent souvent une attirance pour la transgression et le goût du risque : on casse du matériel, quelques petits vols, ivresse sur la voie publique, consommation de drogues… De nombreuses études universitaires (Dirk Jacobs, Walgrave, etc...) montrent que ce genre de comportements survient chez beaucoup d'adolescents, à des degrés divers, sans aucune influence d'origine sociale ou autre.
Le comportement de ces jeunes était purement individualiste. C'est inacceptable. C'est aussi le miroir de notre société.
Les mêmes enquêtes constatent que des jeunes provenant de certaines écoles ont plus de chances de tomber dans une délinquance plus grave et plus durable, notamment ceux provenant des écoles défavorisées. Des jeunes avec un lourd passé de redoublements, d'exclusion, de réorientation, qui en sont souvent à leur dernière chance. Malgré la compétence des enseignants, les circonstances y sont loin d'idéales. Cela est une conséquence d’un système scolaire très inégalitaire.
Les problèmes sont ainsi délégués, mais pas résolus. Dans certaines écoles, 50 % du personnel enseignant change chaque année. Autant construire une maison sur des sables mouvants. Résultat : des écoles avec des élèves démotivés, sans plus aucun lien de confiance pour résoudre les problèmes. Des élèves qui ont connu quatre ou cinq écoles différentes, entrecoupé d'absences prolongées, sans perspective d'avenir.
Certains de ces jeunes considèrent qu'ils n'ont plus rien à espérer. C'est cela qui est dangereux. Lorsque l'image qu’on se fait de soi-même est totalement négative, lorsqu’on n'a plus aucun projet d'avenir, on devient une cible facile pour des manipulateurs. On finit par tomber dans une spirale négative : conflit permanent avec les autorités, perte de confiance, aucun lien positif avec les adultes et les parents… Diverses études montrent qu'il existe un lien entre le mal-être à l'école et le comportement délinquant.
Certains dénoncent la démission des parents...
Dirk de Block. Eux aussi sont dépassés. Ils se sentent abandonnés et tentent de garder le contrôle parental, mais cela ne réussit pas toujours. Certains sont très sévères, ce qui complique encore la relation. D'autres sont trop laxistes, pensant ainsi éviter la frustration. Nombreux sont ceux qui ont perdu les pédales.
Un proverbe africain dit qu’il faut tout un village pour éduquer un enfant
Cela dit, même si l'environnement familial est un facteur important, ce n’est pas le seul. Nous devrions peut-être réfléchir à notre manière d'envisager le « vivre ensemble ». Le comportement de ces jeunes sur la place de la Monnaie était purement individualiste, sans penser aux conséquences pour les victimes. C'est inacceptable. C'est aussi le miroir de notre société. À nous de montrer l'exemple à suivre dans une société plus solidaire. Et nous en sommes bien éloignés. Est-il normal qu'un enfant sur quatre à Bruxelles vive sous le seuil de pauvreté ?
Que pouvons nous faire pour changer cela?
Dirk de Block. Le système d'enseignement bruxellois est un des plus inégalitaires d'Europe. Il encourage la ségrégation. En tant que société, nous ne pouvons pas le tolérer. Notre jeunesse, notre avenir, valent bien mieux. Un plan ambitieux pour l'enseignement pourrait aider à amener des solutions, contrairement au projet scolaire élitiste réservé aux « happy few », aux fils- à-papa, tel que proposé par la N-VA.
Un proverbe africain dit qu’il faut tout un village pour éduquer un enfant. Si toute la communauté s'engage, les choses peuvent changer. Je pense par exemple à un projet en Islande qui a bien fonctionné, lorsqu'ils ont été confrontés à la même problématique. Les parents se sont engagés à consacrer plus de temps à leurs enfants. Ils proposaient des solutions communes entre différentes familles d'un même quartier ou d'une même classe. Le soir, ils organisaient des rondes pour éviter que des enfants ne traînent dehors après 22h. Les autorités ont mis la main à la pâte en mettant à disposition l'accès à des activités sportives ou autres, à prix réduit.
À Bruxelles, aujourd’hui, on fait le contraire : les activités sportives ou récréatives sont souvent trop chères et inaccessibles pour beaucoup. Après les événements récents, je perçois une motivation qui grandit chez de nombreux parents et adolescents pour prendre les choses en main et obliger les autorités à investir dans notre jeunesse bruxelloise.
Vous avez donc de l'espoir ?
Dirk de Block. Toujours !
Photo: Mathilde El Bakri